« Ce jour où je suis entrée dans l’ombre  »

« Ce jour où je suis entrée dans l’ombre »

JE ME SOUVIENS... Première ou dernière fois dans le service, à chacun·e son regard, ses craintes, ses espoirs.

Je me souviens de ne pas vouloir me souvenir. Ni du soleil de ce jour où je suis entrée dans l’ombre comme on entre dans un cercueil, ni des couloirs hauts, longs, froids, contrastés par la chaleur de l’amour de ma mère.

Je ne veux pas me souvenir des visages tristes que j’ai croisés, des zombies abandonnés qui erraient. Et je voulais oublier les grilles préventives de l’escalier au bas duquel on ne pouvait pas se jeter. Je ne veux pas me souvenir de ma mère disparaissant par la porte verte du bout du couloir, du tri des affaires qu’on me confisquait pour ne pas me tuer et de la fenêtre depuis laquelle, au-delà de la barrière je voyais continuer la vie.

Je ne veux pas me souvenir de la chambre à la peinture vieillie et craquelée, de la taille de l’araignée dans un angle du mur et de ma tête. Ne pas me souvenir des voitures qui sortent et de moi qui reste, de la salle de bain fermée, du ballet des soignants entrant, sortant, entrant, sortant. Je ne veux pas me souvenir du temps ni de la nuit que j’attends. Je ne veux pas me souvenir, car j’aurais aimé ne pas connaître.

A.